Égypte ancienne : la navigation


La navigation, au coeur de la vie et de la mort dans l’Égypte ancienne

« L’Égypte est un don du fleuve »


Axe de communication de plusieurs milliers de kilomètres, source de vie dont la crue produit l’une des terres les plus fertiles du monde, le Nil rythme la vie des Égyptiens anciens. Dans le livre II de ses Histoires, Hérodote écrit : « L’Égypte est un don du fleuve ». Il illustre de ce fait le caractère central, originel du Nil dans le développement de ce pays principalement désertique, qui ne connaît presque pas la pluie dans les temps antiques. Après la crue, les eaux se retirent et laissent un dépôt de limon fertile qui permet au monde de renaître ; la végétation pousse, dense et verte, offrant un cadre luxuriant à une faune variée, tandis que les champs produisent des quantités de ressources qui feront de l’Égypte le grenier à blé de l’Empire romain.


Le Nil est également une source de nourriture directe, foisonnant de poissons et de gibier d’eau, et se place donc symboliquement comme un principe de vie fondamental dans l’imaginaire des Égyptiens.


Le Nil leur a par ailleurs inspiré leur vision du monde et de sa création, tandis qu’à la fin de chaque inondation apparaissent ici et là des îlots de terre ; cette étendue d’eau évoque le Noun, un espace mythique représentant le néant, l’océan primordial d’avant la création du monde, duquel les sols ont émergé.


Contenant toutes les eaux de l’univers égyptien, et donc aussi les eaux fertiles de la crue et du ciel, il est considéré comme un principe de vie et de régénération. Mais selon la pensée égyptienne ancienne, le Noun se cache aussi en dehors du monde visible et le menace constamment de retomber dans le chaos, portant donc aussi en lui un concept de fin du monde.



La flotte égyptienne


Dépendant de ce rythme vital, la population égyptienne est installée aux abord du Nil, sur lequel la navigation s’est naturellement imposée comme moyen de transport et d’échange entre les nombreux bras du delta. Dès ses débuts, la batellerie est d’une grande diversité : les pêcheurs naviguent sur des embarcations en papyrus ou en bois, les fonctionnaires évoluent sur de petites barques rapides ; d’autres petits bateaux transportent le grain et le bétail, tandis que sous l’Ancien Empire (environ 2700 à 2200 avant J.-C.) les bateaux en bois de cèdre importé du Liban ou de Chypre sont réservés aux vaisseaux royaux, aux activités funéraires ou aux expéditions marchandes en haute mer.


Ces navires de transport ou de commerce prennent des formes très différentes, souvent ventrues, avec une cabine, et combinent les voiles et les rames afin de pouvoir remonter le Nil jusqu’en Nubie, voire même d’évoluer en mer Rouge et en Méditerranée (bien que les Égyptiens n’aient pas été de grands aventuriers des mers, préférant le plus souvent suivre les lignes de côtes). Ces navires aux formes et aux tonnages très divers sont entre autres confectionnés sur le chantier naval de Perou-nefer, à Memphis.


Grâce aux progrès techniques incessants de la construction navale égyptienne apparaissent bientôt le gouvernail et le mât monoxyle, tandis que le Nouvel Empire (environ 1500 à 1000 avant J.-C.) est le théâtre de la création des premiers navires de guerre. Autre preuve du savoir-faire des constructeurs égyptiens : la capacité de transport des embarcations chargées des énormes blocs de pierre destinés aux monuments. Les vaisseaux royaux, utilisés par les souverains pour visiter leur pays, ou symboliquement ensevelis avec eux, sont également des ouvrages remarquables ; en témoigne la barque découverte au pied de la pyramide de Khéops toute en bois de cèdre du Liban qui, après reconstitution, mesure près de 43 mètres de long.


Les scènes décorant les tombes et les chapelles sont de précieux témoins de l’évolution des formes et des décors dans la construction navale égyptienne. Elles nous renseignent également sur la façon dont les bateaux sont manoeuvrés, à l’image de cette reproduction d’une fresque de la tombe de Sennefer à Louxor, présentée au Musée Mer Marine.

Bateau avec équipage naviguant sur le Nil, reproduction d’une fresque de la tombe de Sennefer à Louxor, Nouvel Empire (env. 1500 à 1000 av. J.-C.) © Luisa Ricciarni / Leemage


Apparaît ici un modèle de bateau tel qu’on les réalisait sous le Nouvel Empire (environ 1500 à 1000 avant J.-C.). À l’avant, un pilote manie une perche et éclaire l’avancée du navire ; ce sondage permet de tâter le fond et d’éviter de s’échouer sur les bancs de sable, surtout en période d’étiage, lorsque le niveau des eaux est au plus bas. Propulsé par quatre rameurs, le bateau est également équipé d’une voile rectangulaire, qui peut être déployée lorsque le vent le permet. À l’arrière, un timonier se tient devant l’aviron de gouverne, qui permet de diriger l’embarcation. Naviguant sur le Nil, ce navire et son équipage reviennent d’un pèlerinage à Abydos, sur la tombe d’Osiris, dieu des morts.



La symbolique de la navigation au coeur du culte funéraire


La mythologie égyptienne fait d’Osiris l’un des premiers rois de l’Égypte, dont le règne apporte aux humains la connaissance de l’agriculture et le respect des lois. Assassiné puis démembré par son frère Seth, il est ramené à la vie par ses deux soeurs, Isis et Nephtys, qui lui redonnent son intégrité physique ; le caractère irrémédiable de la mort est ainsi réfuté, Osiris apparaît généralement dans l’iconographie comme un homme gainé dans un linceul, telle une momie, les chairs teintées de vert, couleur de la renaissance et de la fertilité. Ainsi assimilé à une notion de recommencement, il a progressivement été associé à divers phénomènes de récurrence, comme la crue du Nil ou la réapparition de la végétation. Coiffé d’une couronne, doté des insignes royaux, le sceptre et le fouet, il est l’équivalent divin du pharaon promis à la vie éternelle dans l’au-delà.

Tête du dieu Osiris, bronze, basse époque (775 à 332 avant J.-C.), collection Musée Mer Marine


Osiris est ici représenté avec Hedjet, la couronne blanche, symbole de la Haute- Égypte, et avec au bandeau frontal l’Uraeus, le cobra dressé sur sa queue et prêt à projeter son venin, qui est avant tout un insigne royal.


Mais si elle est d’abord l’apanage du souverain, la promesse de la vie après la mort, initiée par Osiris, devient rapidement accessible à tout Égyptien ayant la possibilité de se faire construire une tombe et de recevoir les rites de l’embaumement. Afin d’assurer cette survie, le défunt doit conserver son corps, vaisseau de sa pensée, de son esprit et de sa force vitale. Le processus de la momification permet la préservation de l’enveloppe charnelle ; avant d’enrober le corps de bandelettes, les viscères sont retirés et placés dans quatre récipients, les vases que nous nommons aujourd’hui « canopes », dont voici un exemple.


Vases « canopes », albâtre égyptien (calcite), collection Musée Mer Marine


À partir de la XVIIIe dynastie (1550-1292 avant J.-C.), les bouchons prennent la forme des quatre enfants d’Horus : Amsit, à tête humaine, garde le foie ; Qébehsenouf, à tête de faucon, garde les intestins ; Douamoutef, à tête de chien, garde l’estomac ; Hapy, à tête de babouin, garde les poumons. Le coeur, siège de la vie, est quant à lui laissé en place dans le corps.


Une fois le processus de momification terminé, la momie est parée d’un masque funéraire, portrait vivant du défunt, et d’amulettes, avant d’être installée dans un premier cercueil de bois, puis dans un second, qui peut être remplacé par un sarcophage de pierre.

Partie supérieure d’un sarcophage, bois peint, collection Musée Mer Marine

Ouchebti, terre cuite, collection Musée Mer Marine


Parmi les objets funéraires placés auprès de la momie, les ouchebtis sont en nombre. Statuettes funéraires destinées à remplacer le défunt dans les travaux agricoles de l’au-delà, ils sont utilisés au Moyen Empire (2033 à 1786 avant J.-C.) ainsi qu’au Nouvel Empire (environ 1500 à 1000 avant J.-C.).


Au cours de l’embaumement et de la mise au tombeau, les anciens Égyptiens répètent des pratiques religieuses et magiques qui doivent permettre l’accès à l’au- delà. Associé à Osiris et à sa renaissance, leur culte funéraire est aussi étroitement lié à la représentation qu’ils se font du cycle du soleil, qui se renouvelle chaque jour. Dans la mythologie égyptienne, le dieu solaire Rê se déplace dans le ciel à l’aide de deux barques en or, l’une pour le voyage de jour, l’autre pour le voyage de nuit. Ces barques solaires ont inspiré celle de Khéops, évoquée précédemment, qui fut donc enterrée auprès du pharaon mort. Le cycle perpétuel du lever et du coucher du soleil est associé au cycle de la vie et de la mort ; dans l’espoir de renaître éternellement, les morts s’intègrent à la course de la Barque solaire, celle du dieu Rê, à travers la nuit et le monde souterrain, jusqu’à l’horizon oriental. On retrouve également des maquettes de bateau dans les nécropoles, semblables à cette reproduction présentée au Musée Mer Marine.

Barque funéraire égyptienne, reproduction d’un modèle du Nouvel Empire (1500 à 1000 av. J.-C.), réalisée par Gérard Queheillalt, collection Musée Mer Marine


Ce type de maquette est placé dans les tombeaux afin d’accompagner le défunt dans son périple vers l’au-delà. Avant d’être placée dans sa tombe, la momie fait d’ailleurs son dernier voyage dans le monde des vivants sur un bateau, puisque le cortège doit se rendre sur la rive occidentale du Nil, où sont rassemblées la plupart des nécropoles, à l’écart des lieux d’habitations.


Et les dieux et leurs effigies ne sont pas en reste ; ils ont également adopté le moyen de transport le plus répandu dans l’Égypte ancienne à travers l’utilisation de barques processionnelles. Placées dans un petit édicule en forme de bateau, lui-même installé sur des barres de portage, les effigies des dieux alors célébrés par le calendrier du culte sont promenées et invitées à rendre des oracles. Ces édicules peuvent être placés sur de grandes embarcations lorsque le rituel nécessite d’avoir recours à une véritable navigation.


Certaines maquettes funéraires que l’on retrouve dans les tombes sont en papyrus, un matériau qui est aussi une spécificité de l’Égypte et de la vie nilotique. La tige du papyrus est d’ailleurs utilisée comme hiéroglyphe pour évoquer la verdeur et la vigueur, s’inscrivant ainsi dans ce champ thématique récurrent et vital de la fertilité. Le papyrus est utilisé pour confectionner des cordes, des nattes, des sandales, des supports d’écriture, mais aussi des embarcations. Les scènes décoratives des tombes évoquent toute la chaîne de production, de la cueillette des papyrus jusqu’à la réparation des barques.


Et cette pratique ancestrale a perduré jusqu’à nos jours !


En remontant jusqu’à la source du Nil, là où le fleuve prend le nom de Nil Bleu, on arrive jusqu’au lac Tana, dans l’actuelle Éthiopie. Des fourrés de papyrus bordent ces eaux et fournissent la matière première à la réalisation de frêles esquifs, capables de supporter de lourdes charges. Les habitants des villages alentours récoltent les papyrus et les font sécher, avant de lier solidement les tiges entre elles pour former une coque épaisse et étanche, perpétuant ainsi un savoir-faire vieux de plusieurs milliers d’années.